Cette année, chacun a pu tester les performances étonnantes des intelligences artificielles génératives (IAG), que ce soit en matière de création de textes (de type ChatGPT), d’images (comme Midjourney ou DALL-E), de son ou de vidéo. Ces technologies ont suscité une variété de réactions, allant de l’inquiétude pour l’avenir à la minimisation de leurs performances.
Mais concrètement, qu’apportent les IA génératives à l’entreprise, en particulier en matière de gestion RH et de formation ? Dans un riche ebook intitulé « ChatGPT et IA : mode d’emploi pour managers et RH, » Cécile Dejoux du Cnam et Cornerstone ont compilé 28 témoignages de terrain sur la question.
L’initiative est partie du Learning Lab Human Change, cofondé par l’auteur et conférencière Cécile Dejoux avec le soutien de Cornerstone. L’organisme est aujourd’hui hébergé par la Fondation Cnam. L’impact des IA génératives sur les RH, actuellement l’un des principaux thèmes de recherche du Lab, a conduit ce dernier à conduire de nombreux entretiens avec des experts de l’IA et des responsables d’entreprise. Il en est résulté le Mooc « ChatGPT et IA : mode d’emploi pour managers et RH » et un ebook portant le même titre.
L’intelligence artificielle générative, rappelons-le, est une application del’IA à la création de contenus originaux, à partir de bases de données de contenus existants. Son irruption sur la scène à la fin de 2022 a pu donner l’impression d’un brusque saut qualitatif de ces technologies. En réalité, il s’agit de la partie émergée del’iceberg : la recherche en IA a réalisé des progrès constants au cours des dernières années et ce n’est que le début. Vers 2017, les IA génératives ont commencé à émerger de la recherche en intelligence artificielle, explique Luc Julia, directeur scientifique chez Renault. Les progrès du machine learning et du deep learning, mais aussi l’abondance de données disponibles sur Internet, ont accéléré le progrès des IAG. Fin 2022, la popularisation des interfaces de type ChatGPT a porté ces découvertes à la connaissance du grand public.
Comme toute nouvelle technologie, l’IA générative suscite à la fois engouement et scepticisme. Les entreprises naviguent entre deux écueils : le risque d’investir dans des outils qui ne tiendront pas leurs promesses et le risque de passer à côté d’une véritable innovation. D’où l’importance d’interroger ceux qui ont déjà commencé à expérimenter sur le terrain. Les spécialistes interviewés pour l’ebook brossent ainsi un tableau général des applications de l’intelligence artificielle générationnelle aux questions de RH et de développement des compétences. Celles-ci peuvent se ranger en 6 grandes familles, que nous évoquons ci-dessous.
Benoît Serre, DRH de L’Oréal et VP de l’ANDRH, rappelle que les RH s’appuient depuis longtemps sur la technologie pour gagner en productivité. L’IA générative vient accroître encore l’efficacité du département RH en automatisant des tâches qui ne pouvaient pas l’être auparavant, mais aussi en permettant davantage d’individualisation. « Les données abondantes qu'elle manipule permettent de mieux personnaliser les relations avec les clients et les collaborateurs. Les parcours de formation et de développement professionnel peuvent être adaptés avec précision, favorisant une expérience unique pour chaque individu, tout en renforçant leur sentiment d'appartenance à l'organisation. »
L’IA et l’IAG permettent ainsi de faire le pont entre l’abondance des données, dont l’humain seul ne peut pas tirer de sens avec ses facultés et l’individualisation. C’est ce type de possibilités que Cornerstone exploite notamment dans sa cartographie des compétences. Les IAG viennent également révolutionner, potentiellement, les chatbots RH, qu’ils soient utilisés en contexte de recrutement, d’onboarding ou de gestion administrative courante. En recrutement, gestion de la mobilité interne, gestion RH, paie, gestion des talents et des parcours, l’intelligence artificielle bouleverse les outils existants et les interfaces nouvelles de l’IAG accroissent considérablement l’accessibilité et la « requêtabilité » des données concernées.
De nombreux témoignages soulignent l’efficacité de l’IAG pour générer des contenus. C’est, après tout, le premier usage de ces interfaces. Olivier Lagrée, Talent Management Advisor chez Cornerstone, considère l’IAG comme un allié précieux pour produire par exemple des descriptions de poste ou des guides d'entretien, dans un contexte de recrutement, ou encore des programmes de formation, voire des éléments du contenu des formations – comme des questionnaires, des plans et des quiz. Anne Grjebine, Senior Advisor Innovation RH chez Air France, fait part d’une expérience similaire. Parmi les cas d’usage étudiés par ses équipes figure la rédaction de mails, de rapports, mais aussi de documents pédagogiques. Le point-clé étant de savoir interroger l’outil, mais aussi de bien garder en tête le fait que l’IAG produit des supports de travail et non des produits finis.
Pour citer l’ebook, résumant l’intervention de François Debois, Global director for learning excellence & innovation chez L’Oréal, « les générateurs ne produisent que des brouillons, et c'est l'intelligence humaine, avec son regard critique et sa capacité d'association, qui peut transformer ces brouillons en contenus à forte valeur ajoutée. »
Plus généralement, et par ce processus même de suggestion, l’IAG est un puissant moteur de créativité. Elle est un bon remède contre l’angoisse de la page blanche – qu’il s’agisse de produire du contenu, de chercher des idées ou d’organiser un projet ou une réunion. Dans les termes de l’ebook résumant les propos d’Anne Grjebine (Air France), « les IA génératives stimulent la créativité et l'innovation, car elles permettent de sortir des sentiers battus et d'être utilisées comme un outil de brainstorming. »
Bien sûr, l’IAG n’est pas vraiment créative en elle-même : elle compile des matériaux existants. Mais en rassemblant des éléments disparates, en mettant en évidence des correspondances qui nous avaient échappé, elle alimente notre propre créativité, c’est-à-dire notre faculté à recombiner l’existant pour générer du nouveau. L’IAG accélère ainsi la phase initiale de réflexion et de concentration pendant laquelle nous entrons dans le sujet et nous imprégnons de ses différentes dimensions. Ce travail, très coûteux en énergie pour nous, est très aisé pour l’intelligence artificielle. C’est la marque d’un outil bien employé : nous lui confions ce qu’il sait le mieux faire, et nous nous concentrons sur nos points forts – en l’occurrence, la création d’idées nouvelles.
Au-delà de la création de contenus pédagogiques en amont de la formation, l’IA générative peut également venir assister le formateur pendant la prestation elle-même, de plusieurs façons :
- en produisant du contenu en temps réel, comme des images, des questionnaires, des synthèses des débats.
- en facilitant l’adaptation du contenu à l’apprenant, par un échange automatisé avant ou pendant la session.
- en guidant l’apprenant pendant la formation.
François Debois (L’Oréal), estime ainsi en substance que « les apprenants peuvent également bénéficier de ces outils en demandant des conseils, en recevant un feedback personnalisé ou en étant guidés dans leur plan de développement personnel. Enfin, les formateurs peuvent utiliser les générateurs pour faciliter des sessions de formation interactives en générant des questions en direct, synthétisant les discussions et enrichissant l'expérience globale de formation. »
L’intelligence artificielle peut jouer un rôle précieux d’aide à la décision. Elle le pouvait déjà par sa puissance d’analyses des données, qui permettent de révéler du sens dans le chaos du big data, pourvu qu’on envoie les bonnes requêtes. Avec les interfaces d’IA générative, un nouveau seuil est franchi. L’IAG peut proposer des scénarios, explorer l’éventail des possibles, suggérer des explications causales. Il s’agit d’aider le décideur à se faire une idée des choix possibles et de leurs conséquences ; en aucun cas, de décider à sa place.
Très souvent, les réponses d’une IAG à une question complexe sont absurdes ou non pertinentes. Son rôle n’est pas de voir clair, mais de parcourir l’éventail des probabilités à partir de l’existant. La qualité de ses réponses, de plus, dépendra étroitement de la qualité des questions. D’où l’importance de former le plus largement possible les décideurs, mais aussi les collaborateurs, au maniement des données et de l’IA. C’est ce que promeut Anne Fenninger, responsable de l'académie Data et Software chez Stellantis. L’objectif de l’académie est de faire en sorte que l’entreprise devienne « une "Data Driven Company," où chaque équipe tire parti de la data pour prendre des décisions éclairées et offrir des services innovants aux clients. » Des programmes de formation progressifs sont déployés en direction des managers et de tous les collaborateurs qui le souhaitent. Il s’agit de mettre tout le monde en situation de mettre à profit les outils digitaux du futur.
Certains, enfin, comme Laurent Reich, HR Data and Analytics Officer chez L’Oréal, préfèrent envisager l’IAG non comme un outil consacré à une ou deux fonctions, mais comme un collaborateur supplémentaire, à part entière. Cette façon d’envisager l’IA est transversale aux autres usages et laisse la porte ouverte à l’expérimentation et à la découverte.
Qu’il s’agisse d’écrire un texte, de produire une campagne de communication RH, de réfléchir à un nouveau service aux collaborateurs, de prioriser les projets, de prendre des décisions difficiles. Il est toujours possible de demander son avis à l’IAG.
Pour chaque cas de figure, il faut apprendre à l’écouter, savoir ce qu’on peut lui demander avec profit, et se servir de ce qu’il produit comme matériau. La clé d’une collaboration fructueuse avec l’IAG est la même que pour un collaborateur humain : il faut apprendre à se connaître. L’IA a besoin d’être alimentée, rectifiée, enrichie. Et nous avons besoin d’en comprendre expérimentalement les apports et les limites. Yann Ferguson, chercheur à l’Icam, parle ainsi de « coévolution entre les humains et les IA génératives. »
Précisément, la plupart des professionnels interrogés dans l’ebook soulignent les limites de l’outil et l’importance d’avoir conscience de celles-ci.
L’intelligence artificielle générative n’est pas fiable à 100% dans ses réponses. Rappelons-le à nouveau, elle ne fonctionne pas comme l’intelligence humaine : elle ne raisonne pas, elle calcule des probabilités à partir d’une base de données de taille considérable. « ChatGPT n'est pas"intelligent" au sens de la conscience. Il génère simplement la réponse la plus probable en fonction du contexte donné, » selon Alexandre Genette, Data Scientist à la Maison de l’IA. Il suffit de demander à ChatGPT de vous raconter une blague pour comprendre que certaines dimensions de l’esprit humain lui sont encore largement inaccessibles !
Luc Julia (Renault) cite par ailleurs une étude de l’Université de Hong Kong sur les IAG selon laquelle « la pertinence des réponses fournies par les modèles était d'environ 64%. » La plus grande prudence est donc de mise dans l’utilisation de ces technologies : elles requièrent une formation préalable et une période de « rodage » pendant laquelle l’humain apprivoise la machine et prend la mesure de ses limites comme de ses possibilités.
Un autre point de vigilance est la confidentialité des données. Comme le rappellent plusieurs intervenants, les données RH sont des données particulièrement sensibles et leur utilisation doit être strictement encadrée. La tâche n’est pas aisée, dans la mesure où la réglementation est encore en gestation. Alexis Leautier, ingénieur expert de la Cnil, souligne l’importance de « l'équilibre entre droit et innovation, » générateur de confiance. « En assurant que les systèmes d'IA développés respectent les droits des individus, la CNIL cherche à favoriser l'adhésion des utilisateurs et une utilisation sereine de ces technologies. » C’est pour cette raison, comme le souligne Olivier Lagrée, « que Cornerstone accorde une grande importance à l'utilisation éthique de l'IA. La transparence et l'explicabilité sont des principes clés pour l'entreprise. Ils s'efforcent de garantir que les clients comprennent comment leurs outils d'IA sont développés, quelles données sont utilisées et quels algorithmes sont employés. »
Dernier point, avancé par de nombreux intervenants, est celui de l’impact environnemental de l’IA générative, qui consomme énormément d’énergie : il faut accéder à d’importantes bases de données et effectuer des calculs innombrables à grande vitesse. « Pour concilier l'innovation technologique avec la durabilité, les entreprises doivent trouver un équilibre entre l'utilisation de l'IA générative et la réduction de leur empreinte carbone, » estime Laurent Reich (L’Oréal).
Malgré cette impression de foisonnement d’applications, l’utilisation des IAG au service des RH et du développement des compétences n’en est qu’à ses balbutiements. Olivier Lagrée commente ainsi le « décalage entre le discours sur l'IA générative et sa mise en œuvre réelle par les RH. Les professionnels des ressources humaines (RH) sont encore dans une phase d'observation concernant l'IA générative, malgré le discours général sur cette technologie. Ils n'ont pas tous pris l'initiative d'explorer cette nouvelle voie. » L’avenir appartient aux expérimentateurs éclairés – ceux qui se donnent les moyens cognitifs de faire des expériences fécondes avec les nouveaux outils, en comprenant leurs limites et en minimisant les risques. Comme nous l’avons souvent dit sur ce blog, et à l’inverse des craintes souvent exprimées à l’égard de ces technologies, l’IAG bien utilisée contribuera à humaniser les RH.
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