Ensemble des techniques d’organisation et de gestion de l’entreprise » : c’est par cette formule un peu sèche que le Dictionnaire de l’Académie française définit le mot « management », récemment accepté par les Immortels. Même dans le Larousse, le management n’acquiert une dimension humaine que lorsqu’il est « participatif ». Pourtant, le quotidien du manager consiste essentiellement à faire travailler ensemble des individus aux personnalités contrastées et parfois incompatibles. Les formations au management abordent parfois une partie de la question, souvent par le biais du « management des personnalités difficiles ». Mais cette dimension du management ne devrait-elle pas faire l’objet d’une amélioration continue des compétences ?
Le télétravail accentue les différences
La crise sanitaire a redistribué les cartes dans bien des domaines, à commencer par le management. Le premier confinement a été une épreuve de vérité managériale. Certains managers se sont retrouvés du jour au lendemain dans l’obligation de gérer leurs équipes à distance ; d’autres ont dû réorganiser la production en urgence. Dans tous les cas, la relation distancielle a pris une place beaucoup plus importante qu’auparavant dans la gestion des interactions au sein de l’équipe. Quand on demande aux DRH et à leurs collaborateurs quelle est selon eux la priorité de l’après crise, ils placent en première position, à 72%, la nécessité de « mieux former les managers à la gestion des équipes à distance » (Baromètre national de l’expérience collaborateur, mars 2021).
C’est que le management à distance révèle la nature de la relation entre manager et collaborateurs : lorsque celle-ci repose sur la confiance et le management par objectif, le passage au distanciel pose naturellement moins de difficultés. Lorsqu’elle s’appuie prioritairement sur le contrôle et le management en silo, le télétravail s’annonce beaucoup plus délicat. Surtout, le travail à distance révèle et accentue les différences entre collaborateurs. Il y a les différences objectives de situation (logement, équipement, famille) : un tiers des télétravailleurs interrogés par l’Anact en juin 2020 déclaraient ne pas disposer d’un environnement de travail adapté. Mais aussi les différences de caractère : appétence pour la technologie, besoin de contact humain, capacité d’auto-organisation…. Un manager qui n’aurait pas pris en compte ces aspects auparavant n’a désormais plus le choix : la différence s’impose à lui.
Comment se former à la prise en compte des différentes personnalités ?
En feuilletant la table des matières d’un manuel de management, par exemple celui-ci, édité par Vuibert, le lecteur est frappé par le peu de place qu’occupe le collaborateur, dans sa singularité et dans sa diversité. La « théorie des traits de personnalité » est évoquée en passant, mais elle est appliquée principalement… au manager lui-même, dans l’étude des styles de leadership !
Les formations au management qui abordent le thème des différences de personnalité le font souvent pour traiter des cas particuliers : en particulier, celui des personnalités « difficiles », ou « toxiques ». Cet article d’un représentant d’un organisme de formation spécialisé dans les soft skills nous donne ainsi quelques conseils sur la façon de s’y prendre avec différents types de collaborateurs à problèmes, qu’ils soient tyranniques, « control-freak », pessimistes ou imprévisibles. Mais il s’agit surtout ici de limiter les dommages : faire en sorte qu’un collaborateur doté de traits de personnalité problématiques ne nuise pas aux autres et à l’ambiance de travail.
L’analyse des personnalités s’appuie sur différentes théories, qui fondent souvent les contenus de formation. Le modèle le plus en vogue dans les milieux académiques est celui des « Big Five », développé dans les années 1960 par Ernest Tupes and Raymond Christal. Le modèle classe les traits de personnalité en 5 catégories : l'ouverture, la conscience (au sens d’ « être consciencieux »), l'extraversion, l'agréabilité et le « névrosisme » (ou neuroticité). Un modèle alternatif, moins accepté académiquement mais plus répandu dans le monde de l’entreprise, est celui des « types de personnalité », développé à partir des travaux du psychiatre Carl Jung par Isabel Briggs Myers et Katherine Cook Briggs, créatrices en 1962 de l’indice « MBTI ».
La prise en compte des différences, une « soft skill » managériale à cultiver
Ces outils ont beaucoup de vertus : ils permettent de mieux se connaître soi-même, mais aussi de nommer des réalités déjà rencontrées, de mettre en lumière des corrélations, de donner du sens à l’expérience vécue, de donner des conseils pratiques. L’intérêt de ces modèles est de conférer des grilles de lecture qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement psychologique de chaque profil de collaborateur, en se fondant à la fois sur la connaissance et sur l’empathie. C’est un bon moyen d’éviter de répéter des erreurs génératrices de conflits inutiles.
Certains réflexes managériaux peuvent en effet s’avérer totalement contre-productifs, alors qu’ils partent de bonnes intentions. Le cabinet Hops Coaching a par exemple réalisé une étude sur les introvertis dans la vie de l’entreprise – son domaine de spécialisation. On y apprend que les deux tiers des personnalités introverties reçoivent régulièrement des injonctions à être différentes de ce qu’elles sont – prendre davantage la parole, sourire, communiquer… voire simplement « être plus extravertie » ! L’introversion est une source de souffrance quotidienne pour un introverti sur deux. Ce n’est pas une fatalité, et c’est une déperdition du point de vue de l’efficacité managériale.
Attention cependant, prendre en compte le profil des collaborateurs ne signifie pas les mettre dans des cases ! C’est le danger des modèles appliqués de façon trop rigide, et c’est peut-être la raison pour laquelle les organismes de formation s’aventurent avec prudence sur ce terrain. Il s’agit plutôt de se donner les moyens de se mettre à la place de chaque collaborateur, pour mieux identifier ses leviers de motivation et ses sources de blocage. Les auteurs de ce dossier se sont essayés à l’exercice en partant des du MBTI et des travaux du consultant Paul D. Tieger : ils identifient 16 types de personnalité en combinant 4 traits, et détaillent pour chacun d’entre eux ce qui les motive, ce qui les retient et la meilleure façon de communiquer avec eux. On devine que de tels modèles ne s’appliquent pas mécaniquement : ils servent de carburant à l’irremplaçable intuition du manager.
L’expression « management de la différence » renvoie généralement à la problématique du management interculturel, propre aux équipes composées de collaborateurs d’origines, de nationalités ou de religions diverses. Pourtant, le management n’est-il pas par définition interculturel ? Chaque individu a sa culture, son passé, son corpus de références propres. Le rôle du manager est de faire en sorte que chacun puisse exprimer son potentiel au sein de l’équipe, en s’appuyant sur les complémentarités des uns et des autres et en évitant les blocages. C’est une expertise qui s’acquiert bien sûr en grande partie sur le terrain, mais qui peut – ou même doit – être renforcée par des connaissances théoriques et des échanges d’expériences, dans un processus d’amélioration continue des compétences managériales.