Beaucoup de compétences vont apparaître ou changer drastiquement sous la pression conjuguée des transformations sociétales, technologiques et environnementales. Le fait est connu et abondamment commenté, mais comment va-t-il se traduire concrètement dans la vie de nos organisations et de leurs salariés ? S’il est relativement facile d’identifier les nouvelles compétences « métier » à développer, qu’en est-il des compétences transverses de l’avenir ?
Yves Leheurteux, consultant senior contenus digitaux chez Cornerstone, a analysé et partagé lors d’un webinar les données sur le sujet à travers 3 études menées respectivement par le World Economic Forum, McKinsey et Cornerstone.
Pourquoi s’intéresser aux compétences de l’avenir ? Dans l’histoire économique du dernier siècle, les compétences ont évolué « naturellement » au fil du progrès technologique et organisationnel. Les programmes de formation initiale se sont renouvelés régulièrement, intégrant progressivement les nouveautés, et les entreprises ont formé leurs collaborateurs aux changements de modes de production lorsque c’était nécessaire.
Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’ampleur et le rythme des mutations. Yves Leheurteux part de l’exemple du nucléaire. Après avoir marqué un temps d’arrêt, la recherche et le développement dans le domaine l’énergie nucléaire en France s’apprêtent à se remettre en route, dans le cadre du programme France 2030 avec la mise en service de réacteurs de petite taille. Il va falloir former rapidement aux métiers correspondants. Dans le cas de métiers aussi sensibles, l’urgence ne peut pas se traduire par de la précipitation. D’où la nécessité d’anticiper.
Plus généralement, dans les secteurs de pointe, le développement des compétences requises par les technologies émergentes et par les expertises liées à l’environnement et à la lutte contre le dérèglement climatique relève d’une « question de vie ou de mort pour les entreprises », selon les termes d’Yves Leheurteux. C’est d’autant plus le cas pour les expertises de pointe, dont la rareté va poser aux entreprises la question de leur attractivité en tant qu’employeurs, sur un marché du travail très compétitif.
Le développement des compétences de l’avenir est également un enjeu à l’échelle de l’économie et de la société dans leur ensemble. La connaissance est la clé de la création de valeur, et la valeur est redistribuée à l’ensemble des acteurs.
Mais les compétences métier ne sont pas les seules en cause : les ruptures technologiques, environnementales et sociétales bouleversent la plupart des professions. L’intelligence artificielle se retrouve dans les applications les plus imprévisibles ; la transition climatique et énergétique transforme les gestes et les techniques de tous les professionnels ; l’émergence de l’hybridation du travail exige de nouvelles compétences managériales, digitales, organisationnelles. La réponse, dans toutes ces situations, passe par la formation.
Une dernière donnée achève de sceller l’urgence de l’enjeu « compétences de l’avenir » : c’est la démographie. Dans la plupart des pays du G20, la génération qui a aujourd’hui 55-60 ans est particulièrement nombreuse. Son départ en retraite, dans les 5-10 années à venir, va créer de massifs besoins en renouvellement des compétences.
3 études et 3 points de vue convergents
Sous l’impulsion conjointe de toutes ces forces, ce sont 44% des compétences mobilisées par les organisations qui vont devoir évoluer dans les 5 ans, selon le World Economic Forum (WEF). C’est 9 points de plus qu’en 2016.
L’édition 2023 de l’étude Future of Jobs du WEF, dont sont tirés ces chiffres, est la première des trois études convoquées par Yves Leheurteux pour analyser les tendances en matière de développement des compétences de demain. Elle se fonde sur un échantillon de 803 entreprises représentant 11,3 millions de salariés à travers 27 secteurs économiques et 46 pays. C’est une enquête très large, qui aborde différents aspects du marché du travail, de l’emploi, des stratégies RH et des compétences. C’est le focus sur ce dernier thème qui est utilisé dans le webinar.
La seconde étude est un peu plus ancienne : c’est un rapport de 2021 du cabinet McKinsey relatif aux compétences que les citoyens devront maîtriser à l’avenir pour réussir professionnellement et entraîner l’économie. En utilisant à la fois la littérature, leur propre expérience et une enquête auprès de 18 000 personnes dans 15 pays, les experts de McKinsey ont cartographié les compétences fondamentales qui vont s’imposer comme indispensables dans les années à venir.
La troisième source mobilisée est l’analyse des données globales issues des 100 millions de salariés que représentent les organisations clientes de Cornerstone. Parmi ces 100 millions, 25 millions ont utilisé les produits Cornerstone pour se former en 2022, totalisant 4,17 milliards de minutes de formation consommées.
Les deux premières études combinent le point de vue sur l’avenir des décideurs des entreprises du monde entier avec deux typologies des compétences transversales. Ce sont des exercices de prospective. La troisième nous donne un retour immédiat du terrain et des pratiques des salariés eux-mêmes.
La valse des emplois
En amont de la question des compétences de l’avenir, l’étude Future of Jobs s’intéresse à l’évolution des emplois. Selon les employeurs interrogés, le taux d’attrition des emplois s’élèvera à 23% dans les 5 années à venir. Il s’agit à la fois des emplois qui vont décliner et disparaître et de ceux qui vont émerger. Le taux sera particulièrement élevé dans les secteurs de la logistique, des transports, des médias et du divertissement. L’industrie manufacturière et la distribution seront moins affectées.
Au total, le solde émergence/disparition d’emplois se traduirait par 2% de réduction du nombre total d’emplois. Dans un contexte de compression de la population active dans beaucoup de pays, souligne Yves Leheurteux, cette baisse ne devrait pas entraîner de chômage massif. Au contraire, la pénurie actuelle de compétences pourrait se maintenir et s’accroître.
En effet, pour remplir ces nouveaux emplois, il faudra produire rapidement les nouvelles compétences correspondantes. De quelle façon ? En formant des jeunes à des métiers qui n’existent pas encore, et en accompagnant la montée en compétence ou le reskilling des salariés en place.
La question posée par le WEF n’est pas celle des métiers auxquels il faudra former demain ; c’est celle des compétences-clé qu’il faudra maîtriser pour accompagner cette transformation.
Comprendre la technologie et développer certaines soft skills
La littératie technologique est clairement perçue comme indispensable pour accompagner les changements qui nous attendent. Plus de 85% des personnes interrogées identifient en effet l’adoption des technologies de pointe et l’élargissement de l’accès aux outils digitaux comme les deux tendances les plus susceptibles de faciliter la transformation de leur organisation.
Le message est clair : la technologie ne change pas seulement les métiers qui la conçoivent ou l’utilisent directement. Pour comprendre le monde de demain, de plus en plus de collaborateurs vont devoir comprendre et maîtriser des concepts et des processus nouveaux. Les 3 principaux sujets technologiques concernés sont l’intelligence artificielle, le big data et le cloud computing.
On s’attendrait donc à retrouver les compétences associées à ces domaines au premier rang des priorités des employeurs. Pourtant, ce n’est pas le cas : lorsqu’on leur demande de citer les familles de compétences dont l’importance va augmenter le plus vite, les compétences cognitives et la pensée analytique occupent les deux premières places.
C’est doublement une bonne surprise :
- Les décideurs identifient clairement ces dimensions comme essentielles. Comme le souligne Yves Leheurteux, elles « restent uniques à la pensée humaine, et permettent de prendre de la hauteur par rapport à l’intelligence artificielle. »
- Par ailleurs, ils les perçoivent comme des compétences que l’on peut développer. Cela n’a pas toujours été une évidence : ces « soft skills » ont longtemps été considérées comme des traits de caractère quasi immuables. En réalité, ce sont des compétences comme les autres qui peuvent faire l’objet d’actions de formation en bonne et due forme.
Par ailleurs, 80% des organisations s’affirment prêtes à augmenter leur investissement dans l’apprentissage, la formation et l’automatisation des processus. La grande majorité des entreprises ne s’inscrivent donc pas dans une logique de réduction budgétaire en matière de formation, mais sont au contraire prêtes à y mettre les moyens. Concrètement, cependant, dans quelles compétences d’avenir doivent-elles investir ?
Le rapport du WEF et celui de McKinsey proposent tous deux un inventaire et une typologie des compétences transversales identifiées par les entreprises comme les plus essentielles dans les 5 ans à venir.
Yves Leheurteux a ainsi recensé dans le rapport du WEF 19 compétences clés à travers les différents secteurs économiques, et les a classées dans les 4 grandes catégories utilisées par le rapport McKinsey : compétences cognitives, compétences interpersonnelles, leadership personnel, digital.
Ce diagramme offre aux entreprises une première grille de référence pour construire les programmes de développement des compétences.
Parallèlement, l’étude McKinsey distingue 13 groupes de compétences et 56 « Deltas, » pour « distinct elements of talents. » Les résultats sont largement convergents dans l’esprit avec ceux du WEF, même si la typologie est différente (celle de McKinsey, notamment, est plus détaillée).
En matière de compétences cognitives, les deux rapports font une place importante à la pensée créative, à la capacité à penser « out of the box. » La pensée critique et analytique, la capacité à résoudre des problèmes seront aussi fortement mobilisées, dans un contexte où l’avenir s’annonce comme particulièrement incertain et défiant la planification. McKinsey insiste davantage sur la communication et l’organisation du travail, le WEF sur la gestion des ressources et la curiosité.
L’importance de l’écoute, de l’empathie, de la confiance se retrouvent explicitement ou implicitement dans la case « compétences interpersonnelles » des deux diagrammes. Celui créé à partir du rapport du WEF, plus succinct, insiste par ailleurs sur la gestion des talents (et donc la formation) et l’orientation client. Celui de McKinsey souligne davantage le travail en équipe et la mobilisation des collaborateurs.
Du point de vue des compétences de leadership, le WEF met l’accent davantage sur le contenu et les résultats souhaités (influence sociale, politique environnementale, service client) ; McKinsey s’intéresse davantage aux moyens mis en œuvre et aux mécanismes du leadership (connaissance de soi, esprit d’entreprise, orientation résultats).
Au chapitre des compétences digitales, les deux rapports se rejoignent pour l’essentiel : la littératie numérique, la littératie de programmation, la capacité à comprendre et utiliser les outils numériques, la compréhension des enjeux de l’IA et du big data, la sensibilité à la cybersécurité se retrouvent de part et d’autre. Yves Leheurteux cite à cet égard un slogan d’un cabinet de recherche californien : « be friends with the machines. » Il s’agit de tirer le meilleur parti des outils existants et en développement.
Au total, sur les compétences à favoriser pour préparer l’avenir, les deux rapports se rejoignent le plus souvent, et lorsqu’ils ne le font pas, ils se complètent sans se contredire.
Ces compétences sont celles dont les organisations auront besoin pour répondre aux transformations de demain. Mais pour que la transition soit couronnée de succès, encore faut-il que les collaborateurs eux-mêmes souhaitent les développer, et y voient leur intérêt.
C’est pourquoi le rapport McKinsey propose une autre clé d’entrée intéressante vis-à-vis de ces compétences. Les auteurs ont interrogé l’échantillon pour savoir quelles étaient les compétences les plus déterminantes pour atteindre 3 objectifs différents : accroître son employabilité, avoir un bon salaire, améliorer sa satisfaction au travail. Pour chacune de ces cibles, le podium des compétences retenues est différent :
- Pour l’employabilité, la capacité à synthétiser les messages, la capacité à faire face à l’incertitude et l’adaptabilité arrivent en tête. Montrer que l’on a compris et que l’on sait faire face à l’imprévu : voilà ce qui garantit le mieux de trouver un emploi.
- Vis-à-vis du salaire, la confiance en soi, la clarté du plan de carrière et la compréhension de l’organisation sont les meilleures boussoles. Avoir un objectif, le poursuivre avec assurance, savoir où l’on va : c’est la meilleure garantie d’une bonne rémunération.
- Pour ce qui est de la satisfaction au travail, nous retrouvons la confiance en soi et la capacité à s’adapter à l’incertitude. S’y ajoute la capacité d’auto-motivation et de bien-être, qui permet de s’épanouir dans un environnement où l’on dispose d’autonomie, et donc de s’épanouir davantage.
Ces compétences rejoignent largement celles qui ont été identifiées pour la réussite de l’organisation dans son ensemble. Ce point de vue expérience collaborateur permet de compléter la perspective et de suggérer des orientations pour une politique de développement RH et de gestion des talents pertinente, dynamique et efficace.
Que nos disent sur le sujet les données issues des 25 millions d’utilisateurs du LMS et des outils Cornerstone à travers le monde ? Après avoir examiné les compétences souhaitables, quelles sont aujourd’hui les compétences recherchées sur le terrain ?
Formations suivies : une évolution rapide et dynamique
Premier enseignement : pour une large part, les formations suivies correspondent à des compétences identifiées par le WEF et McKinsey. En tête, on retrouve Excel (qui entre dans la catégorie « littératie numérique, avec « Office 365 », que l’on retrouve en 9e place), la communication efficace (à rapprocher des capacités rédactionnelles, en forte progression à la 17e place) et les formations au bien-être. Viennent ensuite l’intelligence émotionnelle et la diversité et l’inclusion, qui renvoient à la fois au leadership et à la capacité à travailler ensemble. Avec la formation à repérer les biais inconscients (10e), ces entrées figurent parmi celles qui connaissent la progression la plus importante.
Pour ce qui est des formations à l’organisation du travail, la gestion du temps (6e) est également en progression rapide. Les formations au travail à distance arrivent à la 13e place.
Tous les éléments identifiés par le WEF et McKinsey ne sont pas présents pour autant. La créativité et la pensée analytique ne semblent pas faire l’objet d’une demande spécifique à ce stade. Mais le paysage évolue très vite. Ainsi, la formation à la résolution de problèmes, identifiée comme essentielle par les deux rapports, fait son entrée à la 15e place dans le classement, avec une progression très importante par rapport à l’année précédente (+69%).
L’autonomie croissante des apprenants
Mais les données Cornerstone nous montrent un autre phénomène encore plus intéressant : les collaborateurs sont de plus en plus nombreux à prendre en main le développement de leurs compétences. En 2023, les salariés utilisateurs de Cornerstone ont ainsi passé 2 à 3 fois plus de temps en autoformation qu’en 2021.
Plus encourageant encore : les formations à l’initiative du collaborateur représentent aujourd’hui 35% des inscriptions, mais 51% du temps passé en formation. Les actions en « top down, » assignées par le management, mobilisent moins les apprenants. Bien sûr, elles restent souvent nécessaires, et il n’est absolument pas question d’éliminer les formations à l’initiative de l’employeur. Mais ces chiffres montrent que lorsque l’organisation met à disposition des collaborateurs des moyens de monter en compétences, ils s’en saisissent et s’y investissent à fond. Ils sont souvent mieux placés que leur hiérarchie pour savoir ce dont ils ont besoin, et pour adopter la méthode qui leur convient le mieux.
L’organisation apprenante n’est donc pas un mythe ni une utopie. C’est la raison pour laquelle Cornerstone a fait évoluer son offre en faveur d’une optimisation de l’expérience utilisateur et d’une extension de la gamme des formations, sous la forme d’abonnements thématiques. C’est tout le sens du travail de veille et de prospective mené par Yves Leheurteux et partagé lors du webinar : il s’agit de construire des bibliothèques de contenus innovants et optimisés sur les thématiques transversales identifiées comme les plus porteuses.
Selon l’Index de Gestion des Talents de Cornerstone, en 2023, 41% des salariés estiment qu’ils n’ont pas les clés pour développer leurs compétences, et 65% sont en demande de contenus de formation supplémentaires. Il existe donc une forte attente en matière de formation, qui constitue une excellente nouvelle pour les organisations et pour leur capacité à anticiper l’avenir. Toutes les entreprises, cependant, n’ont pas atteint le même degré de maturité et d’équipement pour relever le défi. Les travaux de veille et de prospective conduits par Cornerstone sur ces sujets visent précisément à parfaire l’offre de formation et de diffusion. Pour affronter les défis de demain, les organisations ont besoin à la fois de contenus pertinents, d’interfaces engageantes, et de stratégies de développement des compétences en ligne avec les transformations en cours.
Mesurez la maturité de votre organisation en matière de gestion des talents et identifiez les outils Cornerstone dont vous avez besoin pour affronter l’avenir.