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L’approche par les compétences : le rêve bientôt réalité grâce à l’IA ?

Cornerstone Editors

Juger les candidats sur leurs compétences réelles, choisir des profils sur leur expérience acquise, en finir avec la culture du diplôme et du CV : ces injonctions à l’approche par les compétences ne datent pas d’hier dans le monde français de l’entreprise. La réalité de terrain tarde cependant à se transformer : le diplôme conserve une forte valeur probatoire pour les recruteurs et les décideurs RH, qui tend à éclipser les autres signaux. En matière de gestion des talents, les mentalités changent, mais lentement. L’intelligence artificielle pourrait bien être sur le point d’accomplir une révolution silencieuse dans la façon dont les parcours professionnels se décident.

La surévaluation du diplôme

Les historiens spécialistes du Moyen-Âge le savent bien : quand un péché est régulièrement condamné par les autorités ecclésiastiques, c’est qu’il fait partie des mœurs établies. De même, la permanence dans le discours RH de la dénonciation de la culture du diplôme montre avant tout que celle-ci perdure.

Aujourd’hui, 57% des « partners » des principaux cabinets de conseil en stratégie sortent de 4 grandes écoles (68% si l’on élargit à 6 écoles). 36 des dirigeants du Cac 40 ont fait une grande école, soit une école d’ingénieur (Polytechnique dans 2 cas sur 3), soit une école de commerce, soit l’ENA ou Sciences Po. 60% des dirigeants des 75 plus grosses entreprises françaises sortent de 6 écoles (25% de Polytechnique).

Le diplôme reste une bonne assurance contre le chômage en France. 86,6% des diplômés de grande école sont en emploi deux mois après leur diplôme. À l’échelle des titulaires d’un master pris dans leur ensemble, le chiffre est de 61,5% après 6 mois. En-dessous, la situation est pire, même si ce n’est pas vrai dans tous les secteurs. D’une façon générale, les recruteurs tendent à choisir les plus hauts niveaux de diplôme, même si le poste ne le requiert pas, conduisant à un déclassement généralisé. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que 35% des salariés français travaillent dans un domaine qui n’est pas le leur, tandis qu’un salarié sur 3 n’a pas le bon niveau de qualification par rapport à sa formation (chiffres OCDE).

Le culte du diplôme conduit donc à la fois à l’uniformisation des élites et à l’inadéquation des compétences par rapport aux emplois. Comment persiste-t-il dans ces conditions ? Notamment en raison de ce que les économistes appellent la théorie du signal : les recruteurs considèrent moins les diplômes comme des informations sur les compétences techniques d’un individu que sur ses capacités globales à travailler, apprendre et résoudre des problèmes.

L’urgence d’une approche par les compétences

L’ennui est que le signal envoyé par le diplôme, souvent, est brouillé et imparfait. Bien sûr, savoir apprendre est une compétence de plus en plus attendue dans un monde en pleine transformation. Mais l’adéquation au poste repose sur bien d’autres paramètres que le diplôme peine à retranscrire.

La maîtrise réelle des hard skills en est un : un quinquagénaire qui a suivi l’évolution de l’outil de production depuis 20 ans, et qui a traversé plusieurs révolutions technologiques, sera peut-être plus performant qu’un jeune diplômé dont les connaissances sont livresques et limitées. Mais une large part de ce qui fait la bonne correspondance d’un profil et d’un emploi relève des soft skills, à mettre en regard non seulement d’un poste mais d’une situation donnée. En fonction de la culture de l’entreprise, du mode de management, du contexte de l’équipe, du moment dans l’histoire de l’organisation (en croissance, en consolidation, en difficulté…), les compétences comportementales requises à poste égal seront différentes.

D’où la relative inadaptation de cet autre outil du monde RH ancien : le CV. Certes, celui-ci ajoute au diplôme – qui cependant continue souvent à trôner dans l’en-tête – la liste et la description des expériences, dont la séquence et le contenu sont parlants. Mais le CV peine à retranscrire les soft skills, au-delà du déclaratif de l’intéressé. Les recruteurs le savent bien, et cherchent à mesurer ces dimensions. Mais il est toujours tentant, dans le doute et pressé par l’urgence de devoir décider, de se rabattre sur le signal rassurant du diplôme et du CV.

La révolution IA des compétences

Les outils par lesquels l’intelligence artificielle enrichit la fonction RH et recrutement et la gestion des talents sont sur le point de donner à l’approche par les compétences les moyens de passer du vœu pieu à l’action concrète et processée.

L’IA va permettre, de mieux en mieux, d’aller puiser dans les informations écrites produites par un individu des éléments qui conduisent à identifier ses compétences probables, en hard skills comme en soft skills, à préciser son profil de façon toujours plus qualitative. Elle peut faire cet exercice sur les bases de candidats comme sur les effectifs de l’entreprise. Elle fait apparaître la cartographie des compétences à l’échelle de l’organisation. Elle permet d’identifier, de plus en plus finement, les écarts de compétences entre ce qui est maîtrisé dans l’entreprise et ce dont les différentes équipes ont besoin. Elle peut également démultiplier la puissance de l’offre interne de formation, en personnalisant tout à la fois les suggestions de contenu et leur transmission.

En mettant en relation l’ensemble de ces fonctionnalités, l’IA va rendre possible une gestion anticipée et stratégique des compétences à court, moyen et long terme. Elle fait le lien entre le général et le particulier, entre l’analyse du big data et l’individualisation. Certes, ces promesses nous sont faites depuis déjà quelques années, et pour le moment les transformations apportées ne sont pas évidentes. Mais le progrès technologique se fait de façon continue, avec des ruptures qui sont davantage des prises de conscience que des changements de nature. Nous avons ri du Minitel de nombreuses années avant qu’Internet n’en réalise les promesses. Et personne avant fin 2022 n’imaginait que l’IA générative pourrait soutenir des conversations avec l’humain et apporter une aide précieuse aux professions intellectuelles.

Il y a fort à parier que la révolution RH qui est en cours se révèlera de la même manière, par une prise de conscience soudaine du fait que les cartes ont été redistribuées.

L’IA ne va pas recruter et piloter les parcours des salariés à la place des RH. Rien ne serait pire que de transformer la gestion des parcours en une sorte de Parcoursup corporate et opaque. Il s’agit au contraire d’assister le professionnel en pré-traitant la masse des données disponibles pour assister son jugement. L’IA ne remplace pas l’instinct humain, il l’augmente. Tout en crédibilisant la fonction RH et recrutement par la mise en place de processus et d’outils à l’efficacité mesurable. À mesure qu’elle apportera la preuve de sa performance, l’IA appliquée à la mobilité et au recrutement pourrait bien parvenir à réussir là où les seules injonctions ont toujours échoué : rassurer suffisamment les professionnels pour détrôner le diptyque CV-diplôme, au profit d’une véritable approche par les compétences méthodique et informée.

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